nov 4, 2014

Face au changement climatique qui menace la production alimentaire, les pays contre-attaquent en fournissant aux agriculteurs des avis précis sur les conditions de croissance

Climate scientist Ousmane Ndiaye and an agricultural extension officer presenting a seasonal forecast to farmers in Kaffrine, Senegal. Photo: James Hansen
Selon une nouvelle étude, les « services climatiques » d’Afrique et d’Asie du Sud donnent aux agriculteurs une vision du futur de leurs cultures pour leur permettre de s’adapter aux changements

JOHANNESBURG, AFRIQUE DU SUD (4 novembre 2014) – Les épisodes extrêmes dus au changement climatique sont aujourd’hui largement reconnus comme une menace majeure pour la production alimentaire en Afrique et en Asie du Sud. Un récent rapport constate que de nombreux pays fournissent déjà à des millions d’agriculteurs des « services d’information sur le climat » innovants qui leur permettent d’anticiper la rapide évolution des conditions et de s’y adapter.

Selon l’étude réalisée par le Programme de recherche sur le changement climatique, l’agriculture et la sécurité alimentaire (CCAFS) du CGIAR, les pays mobilisent les radios communautaires, les services météorologiques publics, les groupes religieux, les agents de vulgarisation agricole, les écoles ainsi que les agriculteurs eux-mêmes pour établir et distribuer des prévisions et des stratégies agricoles constituant une première ligne de défense contre les effets du changement climatique sur la production agricole.

Intitulé Scaling up climate services for farmers: Mission Possible (Développer les services climatiques destinés aux agriculteurs : mission possible), ce rapport est la première analyse de cette nouvelle approche d’adaptation aux pressions infligées par le changement climatique. Il arrive au moment où les experts se préparent pour une conférence majeure consacrée à la gestion des risques agricoles face au changement climatique en Afrique subsaharienne, qui doit se tenir les 4 et 5 novembre à Johannesburg en Afrique du Sud. Cette conférence, accueillie par le Forum for Agricultural Risk Management in Development (FARMD – le forum pour la gestion du risque agricole dans le développement), devrait attirer 200 participants des secteurs tant privé que public, désireux de discuter de solutions pratiques pour gérer les risques à court terme liés au climat, tout en renforçant la résilience à long terme.

Arame Tall, scientifique spécialiste des services climatiques du CCAFS et principale auteure du rapport : « il est encourageant de voir émerger des services d’information climatique rassemblant de nombreux types d’experts et impliquant un large éventail de partenaires pour discuter de stratégies efficaces destinées à aider les agriculteurs à faire face au changement climatique. Ils permettent aux agriculteurs de se protéger eux-mêmes des effets des épisodes climatiques extrêmes, tels que les sécheresses et les inondations, et les aident aussi à tirer avantage des conditions particulièrement bonnes.

Le rapport du CCAFS présente 18 études de cas d’Afrique et Asie du Sud. Il constate que les approches adoptées par les pays pour les services climatiques sont diverses et impliquent généralement de rassembler des données spécifiquement localisées de haute qualité sur, entre autres, la température, les précipitations, l’humidité des sols et les conditions océaniques, afin d’aider les agriculteurs à choisir les meilleures variétés à cultiver et le bon moment pour les planter et pour appliquer les engrais.

L’analyse révèle que ces services fonctionnent mieux quand ils impliquent une large coopération entre, par exemple, des météorologistes, des experts agricoles, des agriculteurs et des agents de vulgarisation agricole. Dans de nombreux programmes, les agriculteurs pratiquent une sorte de science citoyenne, en utilisant des pluviomètres pour recueillir des données sur les précipitations en vue d’alimenter des dépôts de données centralisés.

« L’implication des agriculteurs dans le développement de ces services climatiques est essentielle à leur succès », souligne Arame Tall.

Avant l’apparition des services climatiques, les agriculteurs de la plupart des pays en développement devaient se débrouiller seuls. Même si les connaissances autochtones s’avèrent souvent exactes, les modifications des conditions de croissance dues au changement climatique dépassent de plus en plus tout ce que beaucoup d’agriculteurs ou leurs ancêtres ont jamais connu.

Farmers make better decisions with weather and climate information

« La vulnérabilité croissante des petits exploitants agricoles au risque climatique est une des raisons majeures de l’intérêt et de l’investissement récents dans les services climatiques visant à les aider non seulement à prévoir demain ou la saison suivante, mais aussi à mieux se préparer au changement climatique dans 10, 20 ou 30 ans », note le docteur James Hansen, un des coauteurs du rapport, qui a dirigé l’équipe de recherche du CCAFS sur la gestion du risque climatique.

 

Ce graphique résume les types d’information sur le climat mis à la disposition des agriculteurs à différents moments, la façon dont les agriculteurs reçoivent l’information, et la manière dont ils l’utilisent pour prendre des décisions à court terme, telles que le moment où planter et où appliquer les engrais, ainsi qu’à long terme, telles que le choix de changer leurs types de cultures ou même de rester dans la culture.

L’étude montre que pour produire des avis exacts et instructifs sur la gestion agricole, il vaut mieux combiner les données conventionnelles avec la connaissance des conditions locales. Elle souligne également l’importance d’organiser des ateliers nationaux de consultation rassemblant les spécialistes des prévisions climatiques, les décideurs politiques et les agriculteurs pour construire un cadre de travail soutenant l’élaboration et la prestation des services climatiques.

De plus, l’étude révèle que les services fonctionnent particulièrement bien quand les agriculteurs peuvent interagir directement avec des experts. Mais les services sont aussi efficaces quand ils passent par la radio ou d’autres technologies accroissant leur portée. Par exemple :

  • Dans le district de Kaffrine au Sénégal, la demande de prévisions climatiques des agriculteurs a stimulé le développement rapide d’un programme intégré de prévisions climatiques locales et nationales. Depuis ses débuts en 2011, avec seulement 33 agriculteurs dans six villages, ce programme forme aujourd’hui jusqu’à 5 000 agriculteurs à l’utilisation de prévisions climatiques saisonnières, quotidiennes et horaires, et grâce à une association de 73 radios communautaires, ces services devraient atteindre plus de 2 millions d’agriculteurs.
  • Des milliers d’agriculteurs issus de 700 villages maliens participent à un service climatique coordonné au niveau national, conçu pour les aider à faire face aux sécheresses. Un partenariat unique entre les services météorologies de l’État, le ministère de l’Agriculture, les stations de télévision et de radio, et les agriculteurs eux-mêmes est à la base du succès du programme.
  • À Nyangi au Kenya, un nouveau service d’information climatique a permis aux agriculteurs de récolter trois à quatre fois plus de maïs et de sorgho que par le passé, un résultat qu’ils attribuent aux prévisions météorologiques et aux avis reçus du Climate Prediction and Application Centre (ICPAC – le centre de prévisions et d’applications climatologiques) de l’East Africa’s Intergovernmental Authority on Development (IGAD – l’autorité intergouvernementale pour le développement en Afrique de l’Est). Cette information aide les agriculteurs à savoir quand semer, quand appliquer les engrais et quelles graines semer.
  • En Ouganda, les agriculteurs ruraux de six districts reçoivent des prévisions climatiques saisonnières dans les langues locales. Dans certaines zones, les enfants apprennent à utiliser l’information climatique en cultivant des patates douces à chair orange à l’école, où ils reçoivent aussi des alertes climatiques à ramener à leurs familles. Les prévisions sont également distribuées par l’intermédiaire de banques villageoises, d’organisations confessionnelles, de groupes d’épargne féminins et de groupements agricoles.
  • Dans chacune des 10 régions du pays, l’État éthiopien a formé 30 agents de développement agricole (AD) à l’utilisation des informations météorologiques et climatiques fournies par la National Meteorological Agency (NMA –  l’agence nationale météorologique). Ces AD en ont ensuite formé d’autres qui, à leur tour, forment les agriculteurs. Le programme a atteint 1 700 personnes, dont 780 agriculteurs. Le projet produit des prévisions météorologiques à 10 jours et les distribue par SMS.
  • À l’approche de la saison des pluies 2012, des groupes autochtones de prévisions météorologiques du district de Lushoto en Tanzanie ont obtenu les mêmes prévisions saisonnières de précipitations que l’Agence météorologique de la Tanzanie. Le programme de services climatiques a constaté que la confiance des agriculteurs dans les prévisions scientifiques et leur propension à payer pour elles augmente quand les méthodes locales traditionnelles de prévision sont combinées avec des méthodes scientifiques modernes.
  • Un projet-pilote de services climatiques a été étendu pour atteindre jusqu’à 500 000 petits exploitants du comté de Makuene au Kenya, à l’aide d’un modèle de « formation des formateurs ». Il enseigne à diffuser les prévisions météorologiques aux vulgarisateurs agricoles et aux stations de radio, pour leur permettre de faire le lien entre les fournisseurs des services climatiques et les agriculteurs. Selon le programme, les agriculteurs formés à l’utilisation des avis en ont tiré profit en utilisant mieux les intrants et en obtenant de meilleurs rendements.
  • Les travailleurs communautaires du savoir (TCS) du district de Kasese en Ouganda utilisent des smartphones pas chers équipés d’une application agricole développée localement pour envoyer aux agriculteurs des SMS relatifs à la météo régionale, aux techniques de récupération de l’eau, aux cultures, au bétail et aux prix du marché. Les TCS sont payés sur la base du nombre de questions auxquelles ils répondent, ce qui leur permet de gagner leur vie à l’aide de services de courtage d’informations destinées aux agriculteurs.

« Les services d’information sur le climat constituent un outil essentiel offrant aux agriculteurs un moyen de prospérer face aux risques climatiques », explique James Kinyangi, responsable du Programme CCAFS régional pour l’Afrique de l’Est et coauteur du rapport. « L’information taillée sur mesure peut protéger les agriculteurs des événements climatiques extrêmes qui érodent leurs moyens de subsistance. Elle les aide à faire des choix et à décider d’adopter des pratiques exploitant davantage les technologies d’amélioration de la productivité quand les conditions climatiques l’autorisent. »

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Le Programme de recherche sur le changement climatique, l’agriculture et la sécurité alimentaire (CCAFS) du CGIAR est un partenariat stratégique du CGIAR et de Future Earth, mené par le Centre international d’agriculture tropicale (CIAT). Le CCAFS rassemble les meilleurs chercheurs du monde en science agricole, recherche sur le développement, science du climat et science du système terrestre, en vue d’identifier et étudier les interactions, synergies et compromis les plus importants reliant le changement climatique, l’agriculture et la sécurité alimentaire. www.ccafs.cgiar.org