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Partir du bon pied ou ajouter l’adaptation ?

Photo: S. Kilungu (CCAFS)

En ce qui concerne les fonds pour le climat, établir une distinction entre le développement et l’adaptation pourrait causer plus de tort que de bien.

Par Sonja Vermeulen, Chef de recherche, CCAFS

 

Les médias et les groupes de la société civile gardent un œil [1] sur les sources des fonds publics pour le climat. Leur préoccupation est que les fonds affectés à l’adaptation et à l’atténuation pourraient réduire les fonds de développement, limitant ainsi l’accès des populations pauvres à une santé ou une éducation meilleures. Les réponses mondiales aux changements climatiques, affirme-t-on, constituent une question de justice et de réparation et non de charité. Par conséquent, il incombe aux gouvernements des pays donateurs de démontrer que les activités climatiques sont des activités additionnelles et ne constituent pas des activités de développement classiques [2]. Cependant, beaucoup d’acteurs et penseurs considèrent que le développement – qu’il s’agisse d’accroître les revenus ou de mieux autonomiser les populations – comme l’unique vraie voie de l’adaptation. Par conséquent, où s’arrête le développement et ou commence l’adaptation ?

 

L’article de Hallie Eakin, Maria Lemos et Don Nelson « Etablir une distinction entre les capacités comme moyen d’assurer l’adaptation durable aux changements climatiques » donne quelques éclairages utiles [3]. A l’aide d’exemples tirés de l’agriculture, les auteurs établissent une distinction entre les capacités d’adaptation « génériques » et « spécifiques ». Les capacités génériques comprennent les revenus et les biens, l’accès aux services, à l’éducation et aux services de santé, la voix politique, la sécurité et la mobilité. Par capacité d’adaptation spécifique, l’on entend les « outils et compétences nécessaires pour anticiper et répondre efficacement aux menaces spécifiques (climatiques) », notamment les inondations côtières, la variabilité de la pluviométrie ou l’augmentation des températures.

 

Les auteurs demandent si la capacité d’adaptation générique ou spécifique est plus importante, dans trois études de cas au Brésil, au Mexique et aux Etats-Unis. Dans le Nord-Est du Brésil, les investissements publics limités dans l’adaptation de l’agriculture au fil des années ont mis l’accent sur les capacités spécifiques. Au nombre des exemples figurent les prévisions météorologiques, les variétés de cultures tolérantes à la sécheresse et l’amélioration du stockage de l’eau. Mais, l’absorption a toujours été faible, essentiellement parce que les agriculteurs sont pauvres et ont peu de voix politique. De nos jours, l’accès des agriculteurs au soutien social  – le Programme d’autonomisation familiale – constitue l’unique mesure qui a une corrélation statistique avec l’amélioration de la sécurité alimentaire. Néanmoins, les familles étaient très vulnérables au cours de la grande sécheresse de 2012.

 

Une conclusion facile est que les capacités génériques constituent la base de l’adaptation : nous devrions investir dans le développement à large assise avant de mettre en œuvre des interventions spécifiques pour les changements climatiques. L’on pourrait affirmer, sans doute, que la meilleure façon de renforcer les capacités d’adaptation des agriculteurs pauvres consiste à les aider à accroître leurs revenus et biens. Mais, le cas du Mexique montre que ceci n’est pas tout à fait vrai. Les programmes de sécurité alimentaire qui ont promu la vente du maïs hybride sur les marchés formels ont exacerbé, par inadvertance, les risques éventuels pour les petits exploitants agricoles qui n’ont ni capital ni assurance. Pour ces agriculteurs, l’utilisation des variétés locales de maïs constitue un moyen plus sûr de gérer la variabilité climatique. De même, le cas des Etats-Unis montre comment la trop grande dépendance de la capacité générique peut miner l’investissement dans les activités spécifiques – le « paradoxe du développement complaisant ». Comme nous le savons, suite à l’Ouragan Katrina, des niveaux élevés de développement national ne constituent pas une garantie de solidité dans la gestion des risques climatiques.

 

En un mot, des investissements concertés dans des services et technologies spécifiques pour l’adaptation ne suffiront pas à assurer seuls des moyens d’existence plus résilients. Il en va de même pour l’investissement dans le développement qui omet les outils et compétences permettant de faire face aux menaces supplémentaires liées aux changements climatiques. Si nous voulons que les capacités génériques et spécifiques se complètent et ne militent pas les unes contre les autres, la nouvelle leçon consiste peut-être à cesser d’exécuter les programmes climatiques isolément des politiques de développement. Les populations pauvres en profiteront, même s’il sera un peu plus difficile de calculer « l’additionnalité ».

 

Liens

 

[1] EurActiv 2013. EU admits double-counting climate finance and development aid. http://www.euractiv.com/specialreport-un-development-goa/eu-admits-double-counting-climat-news-530583

 

[2] Knoke, I. 2012. Climate change financing: the concept of additionality. European Parliament Directorate General for External Policies. http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/note/join/2012/433785/EXPO-DEVE_NT(2012)433785_EN.pdf

 

[3] Eakin, H.C.,Lemos, M.C. and Nelson, D.R. 2014. Differentiating capacities as a means to sustainable climate change adaptation. Global Environmental Change 27: 1–8.

http://dx.doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2014.04.013[limited access]

Ceci est l’Edition d’août 2014 de  AgClim Letters, une analyse régulière sur la science et la politique, rédigée par Sonja Vermeulen, Chef de la recherche, CCAFS. Inscrivez-vous pour recevoir le bulletin électronique de AgClim Letters et lire les éditions précédentes. Vos commentaires sont les bienvenus ci-dessous.