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La combinaison des techniques de prévisions traditionnelles avec les techniques modernes peut-elle permettre aux paysans africains d'affiner leurs prévisions saisonnières ?

L’agriculture ouest africaine est toujours à la merci du climat. C’est pourquoi la réponse à la question : « Quelle sera la physionomie de la campagne agricole ? » a toujours été une préoccupation majeure pour les acteurs du monde agricole (producteurs, techniciens et décideurs).

En effet, de tout temps les sociétés traditionnelles ont eu recours à différents indicateurs pour prédire la nature de la campagne agricole (bonne ou mauvaise) à venir. Ces indicateurs reposent sur les éléments de la nature tels que les étoiles, les arbres, les animaux, le vent, la température, etc.

Pendant ce temps, les techniciens ont recours à des modèles plus ou moins sophistiqués  de circulation général de l’atmosphère (MCGA) pour prévoir la saison en terme de cumul pluviométrique, de début et fin de la saison et d’occurrence de poches de sècheresse.  Ces modèles sont basées sur la relation entre la température de surface de la mer, les paramètres atmosphériques (vitesse du vent, température, humidité,…) et la pluviométrie.

La principale question qui se pose est jusqu’à quel point les prédictions traditionnelles coïncident avec les prévisions météorologiques modernes. L’expérience des populations du Yatenga au nord du Burkina Faso constitue un cas d’école. Elles arrivent avec des prévisions basées sur des indicateurs naturels à produire des résultats très proches des prévisions officielles et à ainsi avoir de bonnes recoltes.

La diffusion des prévisions climatiques saisonnières constitue une des activités du programme de recherche du CGIAR sur le Changement Climatique, l’Agriculture et la Sécurité Alimentaire (CCAFS) pour gérer le risque climatique et réduire ses impacts sur la production agricole et la sécurité alimentaire des ménages. Depuis plusieurs années le CCAFS Afrique de l’Ouest a entrepris des activités de communication des informations climatiques dans ses pays d’intervention notamment au Burkina Faso, Ghana, Mali et Niger à travers l’ Agrhymet/CILSS , le centre régional spécialisé dans l'information et la formation dans les domaines de l'agro-écologie, au Sénégal à travers l'agence sénégalaise de météorologie  ANACIM , et en collaboration avec les services météorologiques nationales et les systèmes nationaux de recherches agricoles (SNRA). Des ateliers de diffusion des prévisions climatiques sont organisés à l’issue desquels les paysans expriment leurs besoins en informations climatiques, présentent leur prévision de la saison basée sur leurs connaissances endogènes et reçoivent les prévisions modernes des spécialistes de la météorologie. C’est à l’issue d’un de ces ateliers au Burkina Faso que nous avons pu observer une convergence entre les prédictions paysannes et les prévisions météorologiques modernes.

Prévisions paysannes de la campagne agricole 2014 au Yatenga

Les producteurs disposent d’une gamme variée d’indicateurs naturels pour prédire la campagne agricole parmi lesquels on peut retenir : les étoiles, les insectes, les oiseaux, les arbres, la température et le vent. 

Les signes de bon présage

Selon les producteurs, les manifestations suivantes présagent d’une bonne saison agricole : bonne production des arbres fruitiers (notamment karité, noisetier, résinier, figuier), abondante production de miel, construction de nids d’oiseaux au sommet des arbres au niveau des bas-fond, apparition de milles pattes grises en début de saison, migration des fourmis des bas-fonds vers les plateaux, déstockage des réserves de graines des fourmilières par les fourmis, apparition d’oiseaux migrateurs (notamment les kilimsè en langue locale mossé), beaucoup de mise bas du troupeau en début de saison avec beaucoup de petits de sexe mâle, longue période de froid (harmattan), etc.

Les signes de mauvais présage

Par contre les signes suivants sont entre autres annonciateurs d’une mauvaise saison pluvieuse : nids d’oiseaux dans les parties basses des arbres, apparition de petites étoiles au ciel accompagnée du vent, alternance de journées chaudes et nuits fraiches, survenue de pluies matinales en début de saison, apparition de milles pattes de couleur rouge en début de saison, présence de fourmis noirs nombreux, chute de fruits non mature, vents violents.


Groupe de travail des paysans prédisant la saison

Photo:m. ouedraogo 

En observant les manifestions de ces indicateurs naturels pour cette année, les producteurs des 11 villages sont arrivés aux prévisions suivantes : 5 villages ont prédit une saison bonne tandis que 5 autres ont prévu une saison moyenne, courte, capricieuse.

Seul un 1 village estime que la saison pluvieuse sera mauvaise. Une synthèse pourrait nous amener à conclure à une saison  bonne à moyenne selon les villages.

Que disent les prévisions météorologiques ?

Sur la base des sorties des modèles empiriques, dynamiques et des connaissances de la variabilité climatique passée et actuelle dans le Golfe de Guinée, les climatologues et les agro-météorologues à travers le programme PRESAO (Prévisions Saisonnières en Afrique de l'Ouest) donnent les tendances probables des cumuls pluviométriques de la saison, les dates de début et de fin de la saison agricole ainsi que des longueurs des séquences sèches pendant les périodes critiques de croissance des cultures au cours de la saison. Il ressort de ces prévisions que la saison au Yatenga aura un cumul pluviométrique déficitaire à tendance normale pour les mois de juin-juillet-août et un cumul pluviométrique normal à tendance déficitaire pour les mois de juillet-août-septembre sur la région du Yatenga.


paysans presentant leurs previsions meteorologiques

photo: m. ouedraogo 

Similitudes entre prévisions populaires et prévisions scientifiques  

Ces résultats montrent clairement qu’il existe une certaine convergence entre les prévisions populaires et scientifiques. Ces deux types de prévisions pourraient donc être complémentaires, d’où la nécessité d’intégrer les savoirs endogènes dans les prévisions saisonnières modernes. Cela permettra d’affiner les prévisions locales à petite échelle (notamment village) si non savons que ceci reste encore un défis pour les scientifiques. Pour ce faire, il faudra entreprendre des investigations sur les indicateurs endogènes afin de mieux expliciter les relations de causalité entre les différents descripteurs utilisés par les producteurs. De telles recherches permettront d’améliorer les capacités d’adaptation des agriculteurs en matière de gestion des risques climatiques, car l’utilisation de l’information climatique a fait ses preuves comme option d’agriculture intelligente face au climat. 

Mathieu Ouédraogo est Chercheur-visiteur au programme CCAFS Afrique de l'Ouest