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Les modèles climatiques: plus de questions que de réponses

Nous avons besoin de percées majeures dans les approches de modélisation, et non seulement d’améliorations continues. Photo: K. Trautmann (CCAFS)
 

par Sonja Vermeulen

Tout agriculteur ou responsable politique préoccupé par le changement climatique aimerait savoir de combien vont augmenter ou diminuer les rendements agricoles au cours des prochaines décennies. Mais soyons réaliste: à l’heure actuelle même nos modèles de circulation générale les plus récents ne sont pas encore en mesure de générer des projections climatiques qui soient assez fiables pour pouvoir estimer les futurs rendements dans le contexte du changement climatique. C'est ce que dit l'article de Julian Ramirez-Villegas, Andy Challinor, Philip Thornton et Andy Jarvis Implications of regional improvement in global climate models for agricultural impact research. Les auteurs analysent les performances au niveau régional de 26 simulations de l'ensemble des modèles de circulation générale, faites dans le cadre du CMIP5 (projet d'inter comparaison de modèles couplés, phase 5) et qui formeront la base du rapport 2014 du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat). Evaluant les résultats des simulations à partir des données météorologiques réelles provenant de cinq régions tropicales, ils trouvent des erreurs typiques de plus de 2°C pour la température et 20% pour les précipitations au cours de la saison de croissance des cultures. Ce niveau de précision n'est tout simplement pas assez bon: les cultures vivrières telles que le maïs et le riz sont très sensibles à une augmentation de 2°C de la température ou à une réduction de 20% des précipitations, avec des changements de rendement allant de 10 à 20%.

Au-delà d’affecter les tendances des conditions moyennes, le changement climatique implique également des précipitations et des températures plus variables, que ce soit au sein de ou entre les saisons de croissance. Mais les modèles sont aussi très déficients dans la représentation de la variabilité interannuelle. Ils sont également beaucoup plus performants pour certaines régions et cultures que pour d'autres. Pour le nord de l'Inde par exemple, les auteurs montrent que le blé semé en hiver sous irrigation est beaucoup plus facile à simuler que le riz semé en été, en raison des biais importants des modelés climatiques globaux relatifs aux pluies des moussons. Par conséquent, il est évident que nous pouvons tous faire très  facilement des erreurs dans nos décisions majeures relatives à l'adaptation, telle celle nous menant  à promouvoir une certaine culture comme "meilleur pari" à l’avenir sous le contexte du changement climatique.

Une nouvelle plus encourageante par contre, c’est que la capacité des modèles à représenter le climat s'améliore, jusqu'à 15% par rapport à CMIP3. Toutefois, si les modèles se doivent de progresser suffisamment pour permettre l'évaluation des futurs rendements des cultures avant que les jeunes scientifiques d'aujourd'hui aient pris leur retraite, nous avons besoin de percées majeures dans les approches de modélisation, et non seulement d’améliorations  continues. Pour les décideurs, une meilleure capacité à prendre des décisions malgré l'incertitude est surement plus importante qu’améliorer les modèles.

Les modèles climatiques sont-ils alors inutiles? Au contraire: nous devrions peut-être les utiliser davantage, mais à des fins différentes. Tout d'abord il y a la physique de base. Les modèles fournissent un éclairage unique sur les processus climatiques, et il peut être préférable d'améliorer leur capacité à imiter les mécanismes essentiels tels que la formation des nuages, même si ce choix se fait au détriment de l’amélioration de la précision des prévisions.

Deuxièmement, lors de l’utilisation des modèles pour évaluer les options d'adaptation dans le secteur agricole, plutôt que de générer un seul scénario «le plus probable» (comme un pourcentage de variation attendue du rendement des cultures), il peut être préférable d'utiliser des modèles pour obtenir toute une gamme de scénarios. Les décideurs peuvent ainsi tester si les différentes options d'adaptation envisagées peuvent en effet être réalisables sur plusieurs avenirs possibles ; ou ils peuvent explorer des idées et les voies complètement nouvelles. Peut-être la meilleure utilisation des modèles est celle d'améliorer nos questions, plutôt que d’améliorer nos réponses. 

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Ce blog fait partie de la série AgClim Letters, un bulletin sur la politique scientifique écrit par Sonja Vermeulen, directrice de recherche du programme du programme de CGIAR 'Changement Climatique, Agriculture et Sécurité Alimentaire' (CCAFS). Inscrivez-vous pour le recevoir comme un bulletin électronique.