Tour du monde en montgolfière à azote
Compte tenu des chaînes alimentaires mondiales et des économies de plus en plus intimement liées, les pays doivent conjuguer leurs efforts pour réduire les émissions d’oxyde d’azote, un puissant gaz à effet de serre.
Sans doute que la plus grande surprise concernant les engagements climatiques conjoints annoncés récemment par la Chine et les Etats-Unis [1] tient au fait que ces deux pays aient décidé de conjuguer leurs efforts. Mais, les deux plus grandes économies du monde, qui représentent ensemble 45 % des émissions mondiales, pourraient-elles atteindre des niveaux de réduction importants séparément ? La réponse est non, compte tenu du fait que les économies sont intimement liées. En 2012, les exportations de la Chine ont généré 1,5 gigatonne d’émissions [2], tandis que les importations nettes des États-Unis, dont une bonne partie venait de la Chine, ont généré la moitié d’une gigatonne.
Cependant, il ne s’agit pas d’une voie à sens unique. Les chaînes alimentaires mondiales et les cycles de l’azote nous racontent une histoire plus complexe, tel qu’étudié par Luis Lassaletta, Gilles Billen, Bruna Grizzetti, Josette Garnier, Allison Leach et James Galloway dans Food and feed trade as a driver in the global nitrogen cycle: 50-year trends [3] (Le commerce d’aliments destinés à la consommation humaine ou animale comme facteur déterminant du cycle mondial de l’azote : évolutions sur 50 années).
Au début du 20e siècle, avant l’avènement des engrais azotés synthétiques, l’influence de l’homme sur les cycles de l’azote était limitée. De nos jours, les activités humaines, essentiellement la fabrication et l’utilisation d’engrais, génèrent environ quatre fois plus d’azote réactif que les processus naturels. Fondamentalement, la présence accrue de produits animaux dans nos régimes alimentaires signifie que nous tirons de plus en plus d’azote inerte de l’atmosphère que nous transformons d’abord en engrais par le truchement de la fabrication à haute intensité énergétique, puis le bétail nourrit les cultures et enfin, les protéines animales sont utilisées pour la consommation humaine.
Les avantages considérables pour la nutrition humaine sont compensés par l’excédent de dépôts de composés azotés qui contaminent les fleuves, les mers et l’air. L’oxyde d’azote, « le gaz à effet de serre oublié », recèle trois cents fois la capacité du dioxyde de carbone de piéger la chaleur atmosphérique sur cent ans. Les émissions d’oxyde d’azote des engrais synthétiques, provenant essentiellement des sols agricoles, ont été multipliées par plus de neuf entre 1961 et 2010 et devraient devenir la deuxième source la plus importante d’émissions agricoles en l’espace d’une décennie [4].
Selon Lassaletta et ses co-auteurs, le commerce international constitue, à l’heure actuelle, un processus biochimique important, qui déplace d’importantes quantités d’azote réactif entre les continents. Les transferts les plus importants concernent les aliments pour animaux ; dans les chaînes d’approvisionnement modernes, les parcs d’embouche bovine intensive peuvent être situés à des milliers de kilomètres des exploitations où les aliments pour animaux sont produits. Les principaux exportateurs d’azote dans les aliments destinés à la consommation humaine ou animale sont le Brésil, l’Argentine, les Etats-Unis et le Canada. Les pays qui affichent des niveaux élevés d’importations nettes d’azote sont la Chine, le Japon, l’Egypte, l’Espagne, l’Italie et le Mexique. De nombreux pays africains importent des quantités de plus en plus importantes d’azote.
Les schémas mondiaux de flux d’azote – et partant les responsabilités pour les réductions des émissions – sont davantage compliqués par le commerce des engrais. Par exemple, en 2014, l’on a enregistré une hausse sensible de l’approvisionnement à partir de principaux pays producteurs d’engrais tels que la Chine et les Etats-Unis, ce qui s’est traduit par une augmentation des importations et de l’application d’engrais au Brésil [5]. Une grande partie de l’azote incorporé peut ensuite être réexporté vers des pays importateurs d’aliments pour animaux tels que la Chine, donnant lieu à un schéma complexe de flux d’azote entre pays et continents.
Des solutions intelligentes telles que l’agriculture bio ou de conservation impliquent l’utilisation au niveau local d’intrants produits au niveau local. Ces économies circulaires assurent une utilisation très efficace, mais à très petite échelle de l’azote ; un avenir durable à l’échelle mondiale nécessite une planification et une innovation à plus grande échelle. Nous savons que le commerce international offre une importante stratégie d’adaptation pour la sécurité alimentaire dans le contexte des changements climatiques [6]. Ainsi, nous avons besoin de solutions intelligentes qui prennent en compte les cycles de l’azote (et du carbone) en tant que phénomènes mondiaux et non uniquement dans le champ.
Références
[1] Schlanger Z. So the U.S. and China Made an Historic Climate Agreement. Now What? Newsweek 12 November 2014.
[3] Lassaletta L, Billen G, Grizzetti B, Garnier J, Leach AM and Galloway JN 2014. Food and feed trade as a driver in the global nitrogen cycle: 50-year trends. Biogeochemistry 118: 225–241. DOI: 10.1007/s10533-013-9923-4
[4] Smith P, Bustamente M, Ahammad H, Clark H, Dong H, Elsiddig E and Tubiello F (2014). Agriculture, forestry and other land use (AFOLU). In: Climate Change 2014: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change (edsEdenhofer O, Pichs-Madruga R, Sokona Y, Farahani E, Kadner S, Seyboth K, Adler A, Baum I, Brunner S, Eickemeier P, Kriemann B, Savolainen J, Schlossmer S, Von Stechow C, Zwickel T, Minx J. Pp. 1–179. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA.
[5] Freitas G and Lima MS 2014. Brazil Fertilizer Imports Surge to Record as Prices Ease. Bloomberg 6 June 2014.
[6] Nelson G, Palazzo A, Ringler C, Sulser T and Batka M. 2009. The role of international trade in climate change adaptation. International Centre for Trade and Sustainable Development (ICTSD), Geneva, Switzerland.
Le présent document est l’édition de décembre 2014 de AgClim Letters, une analyse régulière de la science et des politiques. Il a été rédigé par Sonja Vermeulen, Directrice de recherche du Programme CCAFS. Inscrivez-vous pour recevoir le bulletin électronique de AgClimLetters et consulter les éditions antérieures. Veuillez ajouter ci-dessous vos commentaires, qui sont les bienvenus.