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Comment naviguer entre la sécurité alimentaire et l'atténuation des émissions?

Par un meilleur gestion des terres et réduire la consommation et des déchets, nous pouvons orienter la planète vers la durabilité. Photo: N. Palmer (CIAT)
Buckminster Fuller commente avec ironie que la Terre est comme un vaisseau spatial livré sans mode d’emploi. Alors que nous atteignons les limites des ressources naturelles de notre planète et de sa capacité à absorber les déchets, il devient urgent plus que jamais de comprendre quelles sont les meilleures options pour gérer l’utilisation concurrentielle pour nos sources et nos puits mondiaux.

Un nouvel article écrit par Pete Smith et une équipe de scientifiques internationale pose une question essentielle: Quel niveau d’atténuation des émissions (axé sur l’utilisation des terres)  peut- être atteint sans compromettre la sécurité alimentaire de la planète et nos objectifs environnementaux ?

C'est difficile d’y répondre.  La première contribution utile des auteurs consiste à distinguer et quantifier l'ensemble de possibilités d'action du côté de l'offre (amélioration dans la gestion de la biomasse dans l'agriculture et la sylviculture, des sols, de l'élevage et  la consommation d'énergie), et de la demande (réduction des déchets alimentaires, limitation de la surconsommation et passage à des régimes alimentaires nécessitant moins de ressources). Mais le potentiel total d'atténuation au niveau mondial (axé sur l’utilisation des terres) n'est pas une simple somme, car il y a des interactions et des compromis entre les différentes options. Par exemple, une moindre consommation de produits d'origine animale se traduirait par une réduction des émissions de méthane provenant de l’élevage, mais pourrait aussi entraîner une augmentation des émissions provenant des terres cultivées. Les études de modélisation constituent le meilleur moyen dont nous disposons à l’heure actuelle pour évaluer les différentes options.

Rassemblant les résultats de la modélisation et de la science empirique, les auteurs constatent que les changements dans l'agriculture et la sylviculture, sur le plan de l'offre, pourraient offrir des réductions d'émissions de 1.5 à 4.3 Gt d'équivalent CO2 par an à des prix du carbone entre USD20 et USD100. Pour mettre cela en perspective, l'Agence Internationale de l'Energie a estimé les émissions de 2011 à 31,6 Gt d'équivalent CO2. Le concept d '«intensification durable» saisit les principes associés à la réalisation de réductions d'émissions du côté de l'offre: essentiellement une plus grande efficacité dans la transformation des d’intrants limités en produits utiles, de façon équitable et éthique.

Fort heureusement, les mesures axées sur la demande pourraient réduire les émissions de trois à quatre fois plus que les mesures liées à l'offre seulement, entre 1,5 et 15,6 Gt d'équivalent CO2 par an. De plus, la réduction des déchets alimentaires et une alimentation moins gourmande en ressources ont des avantages garanti pour la sécurité alimentaire, par rapport à certaines options axés sur l'offre, telles que la production de biocarburants, qui sous certaines circonstances réduisent la disponibilité alimentaire. En théorie, cela est merveilleux : l’association de mesures axées sur la demande à une intensification durable pourrait au maximum, réduire de moitié toutes les émissions mondiales au niveau de 2011, même sans actions dans les secteurs des transports, de l'industrie ou autre.
 

Smith et ses coauteurs préconisent sagement que des mesures soient prises simultanément sur ​​les options axées sur la demande et celles axées sur l'offre. Les politiques peuvent fournir de multiples incitations pour que les gestionnaires des terres intensifient l'utilisation des ressources de manière durable, épargnent des terres et protègent la biodiversité. Un défi politique beaucoup plus difficile est de savoir comment parvenir à provoquer des changements appropriés dans les comportements des consommateurs. Nous devons en quelque sorte réduire le gaspillage et la surconsommation d'aliments sans forcer des hausses de prix massives, ou des problèmes encore plus graves de sécurité alimentaire pour les consommateurs les plus pauvres et les plus sous-alimentés . Il faudra beaucoup d'ingéniosité politique pour mettre en œuvre les solutions techniques intelligentes que nous commençons à identifier dans le mode d’emploi de ce vaisseau spatial appelé Terre.

Liens

  • Smith P, Haberl H, Popp A, Erb K-H, Lauk C, Harper R, Tubiello FN, de Siqueira Pinto A, Jafari M, Sohi S, Masera O, Böttcher H, Berndes G, Bustamante M, Ahammad H, Clark H, Dong H, Elsiddig EA, Mbow C, Ravindranath NH, Rice CW, Robledo Abad C, Romanovskaya A, Sperling F, Herrero M, House JI and Rose S. 2013. How much land-based greenhouse gas mitigation can be achieved without compromising food security and environmental goals? Global Change Biology 19: 2285–2302. doi: 10.1111/gcb.12160
  • Global carbon-dioxide emissions increase by 1.0 Gt in 2011 to record high. http://www.iea.org/newsroomandevents/news/2012/may/name,27216,en.html
  • Garnett T, Appleby MC, Blamford A, Bateman IJ, Benton TG, Bloomer P, Burlingame B, Dawkins M, Dolan L, Fraser D, Herrero M, Hoffmann I, Smith P, Thornton PK, Toulmin C, Vermeulen SJ and Godfray CJ. 2013. Sustainable intensification in agriculture: premises and policies. Science 341: 33-34. doi: 10.1126/science.1234485

Ce blog fait partie de la série AgClim Letters, un bulletin sur la politique scientifique écrit par Sonja Vermeulen, directrice de recherche du programme du programme de CGIAR 'Changement Climatique, Agriculture et Sécurité Alimentaire' (CCAFS). Inscrivez-vous pour le recevoir comme un bulletin électronique.