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L’agriculture de conservation fonctionne-t-elle pour les petits exploitants agricoles en Afrique ? Un nouveau rapport met en exergue les points clés pour l’action

Some African farmers, like Daimoniz Miondo of Malawi, have doubled their yields through Conservation Agriculture. But can it work for everybody? Photo: T. Samson/CIMMYT.

L'agriculture de conservation peut améliorer les moyens de subsistance et la résilience de certains agriculteurs, mais il peut ne pas fonctionner pour tous les petits exploitants agricoles en Afrique.

Etant donné que l’année 2015 a été déclarée Année internationale des sols en vue de mettre en exergue l’impérieuse nécessité d’assurer une meilleure gestion des sols, nombre de personnes sont en train de promouvoir l’agriculture de conservation (AC) comme solution-clé pour les paysans africains. Cependant, la lenteur de l’adoption en Afrique subsaharienne suscite des questions concernant l’efficacité de l’AC et l’importance réelle de telles pratiques pour les petits exploitants agricoles. Un nouveau rapport du CCAFS, fruit de la collaboration avec le FIDA et le CIRAD apporte quelques réponses.

Meta-analysis of crop responses to conservation agriculture in sub-Saharan Africa. Click to download.

L’agriculture de conservation aidera-t-elle à répondre à l’impérieuse nécessité de préserver nos sols ?

L’Afrique subsaharienne (ASS) compte une population de plus de 930 millions de personnes dont environ les deux tiers dépendent des petites exploitations agricoles pluviales pour leur subsistance. La fragilité des sols, l’aridité croissante et les pratiques non durables telles que le surpâturage, la production de cultures épuisantes, ainsi que la collecte de bois de feu, sont en train de dégrader de manière rampante plus de deux tiers des terres africaines [Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique]. Aussi, la lutte contre cette dégradation des terres a-t-elle de nouveau été citée parmi les priorités de développement, récemment, par les représentants des Pays les moins avancés à Cotonou. Dans des pays de l’ASS tels que l’Ouganda, la recherche montre qu’il existe un lien entre l’adoption des meilleures pratiques de gestion des terres et la réduction de la pauvreté en milieu rural.

L’agriculture de conservation (AC), qui a été mise au point au départ en tant que réponse à la Grande sécheresse américaine des années 30, est l’une des approches de plus en plus promues dans les petites exploitations agricoles en Afrique subsaharienne (ASS) afin de lutter contre la dégradation des terres et d’améliorer la santé des sols. Pour démontrer cette popularité, l’on a organisé le Premier Congrès africain sur l’AC en mars en Zambie, pays où l’AC est déjà pratiquée sur plus de 5 % des terres emblavées.

L’AC combine trois pratiques culturales afin d’aider à réduire l’érosion et le ruissellement de l’eau et à accroître la fertilité des sols et, en définitive, les rendements des cultures. Il s’agit du labour minimum ou labour zéro afin de réduire la perturbation du sol ; du maintien d’un couvert permanent du sol en utilisant les résidus des récoltes tels que le paillis ; et de la rotation des cultures ou de la culture intercalaire, en particulier avec les légumineuses qui fixent l’azote.

Plusieurs expériences à travers le monde ont montré l’impact très positif de l’AC sur les rendements des cultures et les moyens d’existence. Dans la steppe de Kulunda, en Sibérie, où la moitié des 42 millions d’hectares de terres cultivables est dégradée, les paysans souffraient d’une baisse de rendement depuis des décennies. Les chercheurs dans cette région ont commencé à expérimenter l’AC, il y a trois ans, et ont déjà observé un accroissement des rendements d’environ 20 à 25 %. Au regard de ces résultats encourageants, l’on est en droit d’affirmer que l’AC pourrait constituer une solution relativement abordable pour la prévention de la prochaine grande sécheresse dans les steppes russes.

Cependant, dans quelle mesure les petits exploitants agricoles en ASS pourraient-ils tirer parti de l’AC, et dans quelles conditions ? Afin de donner une idée plus nette de la situation, un rapport du CCAFS vient d’être publié, suite à l’analyse de 41 études comparant l’AC aux pratiques conventionnelles fondées sur le labour dans différentes agroécologies et conditions climatiques de l’ASS. Cette méta-analyse des données existantes nous aide à mieux comprendre les conditions propices aux réponses favorables des cultures aux pratiques d’AC et à identifier les facteurs qui limitent l’adoption et l’impact de l’AC et les solutions possibles pour y faire face.

Oui, l’AC peut avoir des avantages à long terme pour les agriculteurs, pour autant que toutes les trois composantes soient mises en œuvre.

L’on est parvenu à la conclusion essentielle que la combinaison du labour zéro et du paillage permet à un agriculteur d’accroître son rendement de 300 kg en moyenne par l’hectare au cours des trois premières années, voire plus par la suite, par rapport au recours aux pratiques classiques uniquement. Cependant, les récoltes baissent à long terme si l’on ne pratique que le labour zéro, sans maintien du couvert végétal ni rotation des cultures.

Une autre conclusion concerne l’importance de l’utilisation des engrais comme condition de réussite pour les agriculteurs qui pratiquent l’AC. Ces agriculteurs ont obtenu des rendements d’environ 400 kg de plus à l’hectare grâce à la pratique de l’AC, lorsque l’application des engrais azotés était supérieure à 100 kg à l’hectare. Etant donné que la majorité des agriculteurs de l’ASS appliquent des quantités nettement plus faibles d’engrais, en moyenne environ 8 kg à l’hectare, il convient d’utiliser dûment ces petites quantités d’engrais, en pratiquant notamment le microdosage des engrais afin de mettre pleinement à profit les possibilités qu’offre l’AC.

L’AC pourrait améliorer les moyens d’existence et la résilience des agriculteurs

Pour les chercheurs, l’impact positif en termes de rendement (jusqu’à 300 kg de plus à l’hectare) de la combinaison du labour zéro, du paillage et de la rotation des cultures est dû à plusieurs avantages de la rotation des cultures notamment l’amélioration de la structure du sol, la réduction des quantités de pesticides et la fixation de l’azote biologique qui intervient lorsque les légumineuses sont utilisées comme culture de rotation.

L’impact de l’AC varie selon la pluviométrie saisonnière. D’une manière générale, tel qu’il ressort de la méta-analyse, les gains de rendement sont plus importants lorsque la pluviométrie est supérieure à 1 000 mm que dans des conditions plus arides. Cependant, certaines études affirment le contraire, car les fortes pluies sur les sols recouverts de paillis comportent souvent des problèmes d’aération et d’engorgement.

L’AC a été saluée comme une bonne technique d’atténuation de l’impact des changements climatiques et d’adaptation aux changements climatiques. En particulier, elle a été promue comme technologie pour faire face à l’irrégularité des précipitations, en raison de l’impact que le paillage semble avoir sur l’équilibre sol-eau. Toutefois, ceci pourrait être une exagération.

« Les résultats de cette étude ne prouvent pas de manière claire ce potentiel » a déclaré Marc Corbeels, chercheur du CIRAD (Centre de recherche agronomique pour le développement international de la France) qui a piloté l’étude. « En moyenne, les gains en termes de rendement de l’AC étaient relativement plus faibles dans les zones au climat sec de l’ASS : 140 kg à l’hectare », a-t-il expliqué.

Les expériences à long terme sur le labour zéro ont montré que jusqu’à 10 tonnes de carbone supplémentaire pourraient être séquestrées dans le sol. Cependant, une étude récente du CIMMYT sur les possibilités de séquestration du carbone qu’offrent les pratiques de labour zéro est arrivée à la conclusion que leur impact sur l’atténuation a été surestimé.

Cependant, l’AC préconise la rotation des cultures, ainsi que le labour zéro, et l’impact positif de la rotation des cultures dans l’adaptation aux changements climatiques est largement reconnu. Nombre d’études de terrain à long terme ont comparé directement la culture continue du maïs à une rotation à base de légumineuses. Une expérience contrôlée reproduite au Canada a montré que la rotation à base de légumineuses donnait 20 tonnes supplémentaires de carbone organique du sol par hectare après 35 années. De même, la rotation avec les légumineuses augmente l’azote organique du sol et interrompt le cycle de vie des nuisibles et des maladies, réduisant la nécessité d’utiliser des engrais chimiques, des pesticides et des herbicides « coûteux sur le plan carbonique », ce qui contribue davantage à l’atténuation des effets des changements climatiques.

Un autre avantage de l’AC, eu égard à la promotion des légumineuses dans la rotation des cultures ou les cultures intercalaires, a trait à la nutrition. La recherche au Malawi a montré que les familles qui pratiquent la culture intercalaire du pois d’angole dans leurs champs de maïs avaient plus de chances d’avoir suffisamment de calories, même au cours des années sèches, que celles qui s’adonnent à la monoculture du maïs.

Cependant, l’AC peut ne pas constituer une panacée : comprendre les contraintes de l’adoption

En dépit de sa réussite dans certaines régions, l’AC n’est pas largement adoptée en ASS. Parmi les problèmes liés à l’adoption identifiés figurent l’utilisation des résidus de cultures comme paillis/couvert du sol, qui est en concurrence directe avec d’autres utilisations très importantes, notamment le fourrage pour les animaux et les exploitations mixtes agriculture-élevage. De même, les familles pauvres utilisent souvent les tiges de maïs, de sorgho ou de petit mil comme combustible pour la cuisine.

« Il est important que l’étude mette en exergue les contraintes liées à l’adoption, notamment celles-ci, de manière que l’on puisse identifier les solutions éventuelles afin de veiller à ce que l’AC soit pratiquée dans les zones où elle constitue la technique la plus adaptée pour les petits exploitants agricoles », a ajouté Stephen Twomlow, Spécialiste du climat et de l’environnement du Fonds international de développement agricole (FIDA), qui a aidé à financer l’étude.

L’avantage le plus important peut varier selon l’exploitation agricole. Il ressort d’une analyse de la comparaison des résidus de cultures en Afrique de l’Ouest que tandis que certains agriculteurs peuvent obtenir de meilleurs rendements en utilisant les résidus de cultures comme fourrage, d’autres tirent davantage parti de son utilisation pour le paillage et le recyclage des nutriments.

Selon certains agronomes, l’AC peut ne pas être adaptée à tous les sols. L’analyse montre que cette pratique donne de résultats meilleurs sur les sols limoneux que sur les sols sablonneux et argileux. En règle générale, les sols mal drainés sont inappropriés, car le paillis peut entraîner la stagnation de l’eau et les maladies des cultures.

En dépit des avantages de la rotation des cultures, les agriculteurs sont réticents à l’introduction de la rotation des légumineuses dans une monoculture continue (par exemple la monoculture du maïs au Malawi), en raison du manque de marchés pour la vente des légumineuses. A moins qu’il existe un marché disponible pour les grains, les petits exploitants agricoles en ASS ont tendance à cultiver les légumineuses à graines sur une petite partie de leurs champs, tout juste pour la subsistance, et certainement pas en quantités suffisantes pour assurer une rotation dans le champ. Ceci souligne la nécessité d’élaborer des politiques et de créer les infrastructures et nouveaux marchés nécessaires pour encourager une adoption plus massive des pratiques de rotation à base de légumineuses. Un exemple réussi à cet égard concerne l’Ethiopie, où les politiques favorables à l’amélioration de l’accès aux semences, à la formation et à la création de marchés ont amené les agriculteurs à intensifier considérablement la culture du pois chiche, parallèlement au teff.

Des pratiques agricoles durables telles que l’AC sont appelées à jouer un rôle primordial en ASS, où il y aura 1,5 milliard de bouches à nourrir d’ici à 2050, dans un environnement plus aride et plus fragile, avec des ressources de plus en plus rares. Il est essentiel de prodiguer des conseils adaptés pour chaque région. Par ailleurs, en dépit de ses avantages manifestes dans plusieurs situations, l’AC peut ne pas être une panacée.

Pour télécharger le rapport

Meta-analysis of crop responses to conservation agriculture in sub-Saharan Africa by Marc Corbeels (CIRAD), Raymond Kofi Sakyi (Georg-August-Universität), Ronald Franz Kühne (Georg-August-Universität) and Anthony Whitbread (Georg-August-Universität).

Le Fonds international pour le développement agricole (FIDA) a financé les travaux de recherche.