Lutter contre l'insécurité alimentaire avec un plat commun
La faible productivité agricole et la pauvreté structurelle conduit à la permanence de l’insécurité alimentaire au Sahel. C'est le cas au Sénégal où le village de Keur Medoune vit chaque année, une période de soudure alimentaire de 2 à 3 mois. Pour y faire face, les populations du village organisent ce qu’on appelle les repas communautaires, diner commun, comme mesure d’adaptation à l'insécurité alimentaire.
C’est ainsi qu’ils ont reçu la visite des habitants de Tataguine (leur village analogue climatique) dans le cadre de la mise en œuvre de l'approche "fermes du future" au Sénégal, venus s'enquérir de l'expérience de leurs pairs en matière d'adaptation au changement climatique.
Qu'est ce que le diner commun?
Le diner commun est un repas collectif de soir qui est préparé dans un seul ménage et pris en commun par l'ensemble des habitants du village. Il est préparé à tour de rôle par chaque ménage du village. Avec 34 ménages présents dans le village de Keur Medoune, chaque ménage ne prépare qu'une seule fois tous les 34 jours de la période de soudure. Pour toute la période de soudure qui dure généralement de 2 à 3 mois (juin-juillet-août), chaque ménage ne prépare que 2 à 3 fois le diner.
Comment réunir les moyens nécessaires à la préparation du diner commun?
La préparation de ce repas collectif nécessite environ 50 kg de mil, 9 kg d’arachide et des condiments. A cela s’ajoutent les frais pour piler et moudre le mil. Le ménage responsable du diner est aidé par les femmes des ménages voisins dans le village.
En savoir plus sur l'Insécurité alimentaire au Sénégal via notre rapport d'enquête de reference
Les condiments sont à la charge du ménage responsable du diner commun, le mil et l’arachide proviennent des récoltes des champs collectifs, la caisse du village finance les frais de pilage et de mouture du mil.
Deux champs collectifs d’arachide (4 ha) et de mil (6 ha) sont cultivés chaque année par les villageois pour assurer la production de vivres nécessaires à la préparation du diner commun.
Toutes les opérations culturales sont réalisées par l’ensemble des villageois, chacun apportant son matériel de culture et son animal de trait s’il en dispose.
Une partie des sous-produits (fane d’arachide) est vendue pour alimenter la caisse du village, le reste est destiné à l’alimentation des animaux de trait.
Qui est responsable de la gestion du diner commun ?
L’organisation du diner commun est sous la responsabilité du chef du village qui assure la gestion des récoltes des champs collectifs. Il est assisté par deux commissions de deux membres chacune chargée respectivement (i) de la distribution du mil et de l’arachide et (ii) de la vente des produits agricoles.
Historique du diner commun
La pratique du diner commun trouve son origine de la rencontre de Médoune NGNING fondateur du village avec le grand marabout Cheikh Amadou Bamba. Lors de cette rencontre, Médoune NGNING a formulé une prière auprès du marabout en lui demandant la cohésion de sa famille. C'est dans le but de renforcer les liens de solidarité et préserver la cohésion familiale que le diner commun a été initié par Médoune NGNING.
Cette pratique du diner commun a été favorisée par la culture sérère. En effet, il est de coutume dans cette ethnie que dans une famille les frères cultivent un champ collectif dont la récolte va servir à alimenter le repas collectif pendant une certaine période de l’année.
La pratique du diner commun présente des avantages aussi bien sur le plan économique que socioculturel.
Sur le plan socioculturel, le diner commun est un moment de partage et de communion de tous les villageois. Il permet de raffermir les liens de solidarité, d'entente et de cohésion au sein du village.
Sur le plan économique, le diner commun dispense à tout ménage de préparer quotidiennement un diner pendant la période de soudure. Ceci a un impact important sur l'économie du ménage et sa capacité à faire face au déficit alimentaire.
Si cette pratique présente des avantages certains, il faut noter que son adoption nécessite une taille de village réduite afin de réduire les difficultés organisationnelles. Par ailleurs, des liens familiaux solides ou une certaine homogénéité socioculturelle de la population sont nécessaires pour faciliter l'adhésion et la participation des populations.
Dr Mathieu Ouédraogo est Chercheur-visiteur avec le Programme de Recherche du CGIAR sur le Changement Climatique, l'Agriculture et la Sécurité Alimentaire (CCAFS) bureau de l'Afrique de l'Ouest, basé au bureau de l'ICRISAT au Mali. Diaminatou Sanogo est Chercheur à l'Institut Sénégalais pour la Recherche Agricole.